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MOON, le Guétali spatial, revue culturelle de la Réunion
12 mai 2011

MOON n°2 / Goût et Odorat / Tout Lunivore

Qu’est-ce-que la gourmandise ?

 

Une jeune femme louchant sur la vitrine d’un chocolatier, une garçonnet à lunettes bavant dans un magasin de bonbons, un vieil homme dont l’oeil brille anormalement devant l’étal de samoussas . Autant d’images retransmises par nos téléscopes subjectifs, accompagnées d’un message d’alerte à l’émotion. Intriguée et inquiète pour ces humains en péril, l’équipe de Moon s’est documenté sur la nature de ce pêché gourmand généralisé.

 

La revue La Gourmandise. Délices d’un péché (Autrement, Série mutations/mangeurs, n°140, novembre 1993) nous semble particulièrement intéressante, dans la mesure où elle propose des pistes de réflexion quant aux définitions et aux conceptions de la gourmandise et de la gastronomie.

Pour commencer, nous est donnée la définition de la gourmandise du célèbre Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), auteur de la La Physiologie du goût ou Méditation de gastronomie transcendante (Méditation XI « De la gourmandise », Physiologie du goût, Paris, Sautelet, 1826) :

 

« La gourmandise est une préférence passionnée, raisonnée et habituelle pour les objets qui flattent le goût.

La gourmandise est ennemie des excès ; tout homme qui s’indigère ou s’enivre court risque d’être rayé des contrôles.

La gourmandise comprend aussi la friandise qui n’est autre que la même préférence appliquée aux mets légers, délicats, de peu de volume, aux confitures, aux pâtisseries, etc. C’est une modification introduite en faveur des femmes et des hommes qui leur ressemblent. »

 

Entre passion et raison

 

Cette définition comporte des éléments qu’il convient d’analyser, notamment la coexistence de la passion et de la raison, a priori opposées. La gourmandise serait-elle alors une qualité qui se développe en plusieurs temps, en différentes étapes et qui permettrait de passer de la passion à la raison, du plaisir à la réflexion ? On peut alors parler de démarche esthétique, dans laquelle le Beau serait sujet de réflexion.

 

Par ailleurs, il y est question de l’excès : la gloutonnerie est ici à la gourmandise ce que la télévision est au cinéma, l’abrutissement à la contemplation. Pour Brillat-Savarin, cette caractéristique, qui bannit l’excès, est une condition de la gourmandise. Ce parti pris souligne l’aspect raisonné de l’art de manger, mais il n’est pas partagé par tous.

 

Pour Alain Senderens, chef cuisinier, l’excès fait partie de la gourmandise : il la considère comme « quelque chose de violent qui sort des tripes, quelque chose d’un peu incontrôlable. » On  note ici la subjectivité liée à la notion de gourmandise.

Mais pourquoi A. Senderens évoque-t-il ce « qui sort des tripes » pour parler de ce qui justement y pénètre? Il met à jour, consciemment ou pas, une dynamique du dedans/dehors propre à l’acte de manger et qui prend ici une belle ampleur dans cette manière justement incontrôlée de l’évoquer.  Comment les mots se font, ici, miroir de leur sens, le discours faisant écho à l’action, le signifiant au signifié, nous rappelant ainsi que nous sommes à la fois esprit et corps, spirituel autant que charnel.

La gourmandise possède donc le pouvoir de soulever des problématiques humaines à la lisière des sciences naturelles et des sciences humaines, du naturel et du culturel, reliant l’organique au langage.

 

Et, comme un retour à l’envoyeur, cela fait écho à la langue gourmande de Brillat-Savarin, qui, comme le disait Roland Barthes : « désire le mot comme il désire des truffes, une omelette au thon, une matelote. » (Barthes R., « Lectures de Brillat-Savarin » (1975), Le bruissement de la langue, Seuil, Paris, 1984).

 

Léa Szkaradek

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