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MOON, le Guétali spatial, revue culturelle de la Réunion
19 octobre 2010

MOON n°1 / Le Regard

L'énigme de la "boîte noire"

boitenoir

 

 

Par Pierre Herrman

Tragique concours de circonstances ou implacable loi des séries, la récente succession d’accidents aériens s’accompagne comme à l’accoutumée de la non moins tristement rituelle recherche des boites noires. Mais, avec tous les égards dus aux victimes et tout le respect pour la douleur de leurs proches, quel est plus précisément l’objet de cette recherche, et au fait, qu’est-ce qui se cache exactement sous ce terme de « boîte noire »?

On sait en effet qu’il s’agit d’un « enregistreur de vol », c’est à dire d’un dispositif électronique conçu pour garder en mémoire, dans des conditions extrêmes (choc, température, pression), toutes les données d’un vol, (conversations de l’équipage, informations techniques issues de capteurs disposés dans l’appareil, données du pilotage, etc. ) afin de pouvoir comprendre les causes d’un éventuel accident, dans le but d’améliorer la sécurité des vols.

Mais si ces enregistreurs de vols sont en réalité, pour des raisons de visibilité, de couleur orange (et au fond, qu’importe la couleur ?) pourquoi alors parler de boite noire? D’où provient ce terme apparemment mal approprié et pour quelle raison l’utilise-t-on ?

Le terme de boîte noire (« black box » en anglais) est en réalité un concept tiré d’une discipline scientifique appelée analyse des systèmes(ver), utilisée par exemple dans le domaine de la recherche-action (def), ou l’analyse financière des systèmes de blanchiment d’argent sale.

 

Elle désigne alors un point du système étudié, dont un connaît les données entrantes (« input ») et les donnéée sortantes (« output »), sans toutefois être capable d’établir l’explication rigoureuse du rapport existant entre les données entrantes d’un côté, et les données sortantes de l’autre. De sorte que l’on ignore totalement « ce qui se passe »entre l’entrée et la sortie, à l’intérieur de la boîte noire.

Si le terme est utilisé dans le contexte aéronautique, n’est-ce pas, comme souvent, par une sorte d’abus de langage? Il exprime alors notre ignorance réelle quand aux causes d’un accident, du moins tant que celui-ci n’aura pas été décortiqué et comme reconstitué par les techniciens spécialistes du Bureau Enquête-Accident, le trop fameux B.E.A..

La boîte noire constitue ainsi le symbole médiatique de l’ignorance commune quand aux causes réelles de l’accident. Et comme objet privilégié des recherches, elle pointe l’angoisse partagée par tous, quant à la vérité en matière de sécurité des vols aériens. Elle est l’indice d’un déficit de connaissances. A ce titre, elle devient un enjeu décisif pour le public susceptible de recourir au transport aérien, d’où sa mise en exergue médiatique: car la peur se vend toujours bien.

Mais cette analyse, si valable soit-elle en elle-même, est-elle suffisante ? Ne faudrait-il pas approfondir encore l’interprétation pour compléter notre compréhension du phénomène? Qu’est-ce qui fait de la boîte noire cet objet privilégié d’une sorte d’ incontournable et universelle interrogation médiatique?

C’est que par-delà des exigences techniques de sécurité aérienne, du souci légitime de vérité due à la mémoire des victimes ou à leurs proches, la boite noire, incontestablement indispensable dans le domaine aéronautique, semble être devenue le symbole de notre rapport à la vérité en général.

Comment savoir au juste ce qu’il faut penser lorsque chacun a le droit légitime “de se faire sa propre opinion” , c’est-à-dire au fond de penser ce qu’il désire?

Pour preuve : il suffit de voir les spécialistes se défendre contre les hypothèses parfois les plus hasardeuses sous la « pression » des journalistes, et les précautions dont ils sont obligés de s’entourer, pour se prémunir contre toute forme de conclusion hâtive. Or, se hâter de conclure, le plus souvent au prix de la vérité elle-même, n’est-ce pas ce qui caractérise le mieux l’opinion, qui dans l’urgence de la parole, se soucie fort peu de justifier ses fondements?

La boîte noire devient alors porteuse d’un sens tout différent des apparences, mais qui explique fort bien qu’elle soit devenue l’emblème d’une préoccupation universelle. Symbole manifeste de notre réelle ignorance commune, elle désigne la nécessité devenue générale, de recourir à la parole d’un tiers, d’un technicien, d’un spécialiste.

Et ce dans les domaines les plus divers et les plus importants de notre vie : quant au savoir : le “savant”; en politique : le “politicien”; mais aussi pour l’art : le “critique d’art”; et même en amour : le

“psycho-sexologue”. Dans tous ces domaines et de nombreux autres, tout se passe comme si nous avions besoin de la compétence d’autrui pour nous livrer une vérité que nous ne sommes pas en mesure de découvrir et de comprendre par nous-mêmes.

Le monde est-il devenu trop technique? Trop complexe peut-être, et en tous cas trop pressant! En raison de l’urgence quotidienne, il ne nous laisse pas le temps de rechercher par nous-mêmes la vérité. La boite noire symbolise pour nous une contrainte sous laquelle nous nous trouvons tous désormais. Celle de s’en remettre à autrui pour ce qui est de la vérité, en toute ignorance de cause.

Elle désigne donc à notre insu, mais de manière tristement décisive, le régime médiatique du Règne de l’Opinion, c’est-à-dire de la parole individuelle dépourvue de vérité et donc de fondement.

Et en tout logique, un telle perspectve devrait conduire tout un chacun à s’interroger sur ce qui subsiste de sa crédibilité individuelle.

 

 

 

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Commentaires
R
Bien écrit, et surtout quand les "experts" pratiquent en plus la langue de bois, celle qui passe sans sourciller (pas mal pour une langue non?) les détecteurs de mensonges. Pour l'anecdote, "ils" (la Nasa)avaient fait appel à Richard Feynmann, pour fournir une explication pédagogique à l'explosion de Challenger. Mais finalement ça n'avait pas trop fonctionner, Richard étant trop fidèle à lui même, donc pas assez au format voulu. Il semblerait qu'il était le grain de sable qui faisait grincer les rouages de la "commission Roger", blackbox pourtant bien huilée.<br /> « Pour qu'une technologie soit couronnée de succès, la réalité doit prendre le dessus sur les relations publiques, car on ne peut pas tromper la nature » R. Feynman<br /> On peut remplacer "technologie" par ce qu'on veut non?(moi je pense à "peinture", hig hig )<br /> Ce qui signifie que les "relations publiques", à mon sens, serait à enterrer; encore plus profondément que la hache de guerre...<br /> <br /> http://www.google.com/images?q=fyenman&ie=utf-8&oe=utf-8&aq=t&rls=org.mozilla%3Afr%3Aofficial&client=firefox-a&oi=image_result_group&sa=X
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