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MOON, le Guétali spatial, revue culturelle de la Réunion
12 mai 2011

MOON n°2 / Goût et Odorat / sans) Art Terrien

La gastronomie est-elle un art ?

 

Grave question qui a déchaîné les programmes de nos téléscopes et déréglé tous leurs précodages standards. Par bohneur, notre expert a su classifié les problèmes et vous en livre ici la moelleuse substance.

 

Le statut accordé à la gastronomie n’est pas consensuel et certains ne la placent pas sur le même plan que les autres formes d’art. Léo Moulin, dans son article « Le bon plaisir » (Mille et une bouches : cuisines et identités culturelles / dir. par Sophie Bessis, Paris : Autrement, 1995) considère qu’on ne peut pas comparer cuisine avec musique et poésie, à cause de l’aspect éphémère de la cuisine, qui disparaît avec son auteur, les livres de recettes ne pouvant rivaliser avec des recueils de littérature. Cette thèse nous intrigue, étant donné qu’elle s’oppose radicalement à notre conception de la cuisine. Pour nous, l’aspect éphémère de la gastronomie ne suffit pas à lui ôter sa valeur artistique. Que dire alors des diverses formes de l’art contemporain : performances et happening, et du spectacle vivant ? L. Moulin développe une conception de l’art traditionnelle, qui semble notamment révolutionnée par l’évolution des pratiques artistiques. De plus, l’œuvre culinaire, comme l’œuvre musicale, a pour vocation d’être réinterprétée.

Ce qui nous oppose est issue d’une conception de la culture différente. L. Moulin élabore une  hiérarchie des objets culturels adoptant une conception graduée de la culture, dans laquelle la spiritualité se situe en haut et la corporalité en bas, alors que nous considérons que la culture est formée par l’ensemble des productions humaines, quelles que soient leur nature. Nous faisons donc le choix d’une vision équanime des objets culturels, en soulignant leur valeur symbolique : la peinture est alors sur le même plan que la gastronomie.

« L’artiste de l’instant » 

Notre parti pris, qui est de considérer la gastronomie comme un art, reste à démontrer. Le statut du chef cuisinier a évolué vers une certaine reconnaissance et aujourd’hui, on parle volontiers d’artistes. Mais pourquoi considérer la gastronomie comme un art ? Le chef Alain Senderens, distingue deux aspects de la cuisine :

-       La technique : achat du produit, cuisson, assaisonnement.

-       Le style : subjectivité du cuisinier.

« Pour moi, la cuisine est un art, au même titre que la sculpture ou la peinture. La seule différence c’est que le peintre peut avoir cent ans d’avance. Le cuisinier, lui, est en prise directe avec le présent. C’est l’artiste de l’instant. (…) la cuisine (…) n’est pas dissociable de l’évolution générale de la société » (« Artiste de l’instant », entretien avec Alain Senderens, La Gourmandise. Délices d’un péché, Autrement, Série mutations/mangeurs, n°140, novembre 1993, p.176)

 

C. N’Diaye (La Gourmandise. Délices d’un péché, Autrement, Série mutations/mangeurs, n°140, novembre 1993) souligne clairement le parallèle entre art et gastronomie : « Il y a de l’art chez le cuisinier et le gastronome. Mais aussi, combien de peintres sont peintres en effet parce qu’ils nous font sentir la verdeur crissante d’une botte d’asperges, l’astringence d’un citron à demi pelé ou la fraîcheur d’une poignée de cerises  qui sur la toile disent « rouge ». » Ici, voir et goûter sont reliés au sein d’une dynamique à double sens, nous incitant à penser que l’analyse d’œuvre, centrée sur les idées que dissimulent les formes, est une méthode d’approche appropriée à la fois à la peinture et à la gastronomie. 

Plats costumés

Mireille Vincent-Cassy, (« Des couleurs et des saveurs » (La Gourmandise. Délices d’un péché, Autrement, Série mutations/mangeurs, n°140, novembre 1993), bien que développant une approche purement historique, s’attache aux qualités visuelles de la gastronomie, plus précisément aux couleurs. A la fin du Moyen Age, on voit en effet apparaître une nouvelle cuisine dans laquelle l’aspect visuel devient primordial : les épices sont utilisées pour colorer, les  plats sont déguisés. On assiste alors à un « transfert organisé du plaisir gustatif au plaisir visuel (...)leur jouissance gustative passait d’abord par la vue des plats », la vue, qu’elle considère comme « le plus spirituel des sens».

Elle note l’importance de l’ordonnance des couleurs, à forte valeur symbolique. Il serait intéressant de se demander quel rôle tiennent aujourd’hui les couleurs dans la gastronomie réunionnaise. La valeur chromatique des épices est-elle exploitée au même titre que la valeur gustative ? Existe-t-il une recherche chromatique et quels symboles pourrait-elle véhiculer ?

A partir de 1340, on assiste à l’apparition d’un goût pour le désordre, qui renverse les codes établis : on mélange les couleurs et on apprécie le déguisement, que ce soit pour le vêtement ou pour la cuisine. Il apparaît alors un art culinaire soucieux de travailler les aliments de manière à ce qu’ils représentent un élément de la réalité (ex. des épines de hérisson en amandes grillées), on cherche à créer l’illusion. Cette préoccupation, propre à cette époque, n’a peut-être plus cours, mais quelles sont les préoccupations esthétiques actuelles ? Peut-être, comme en Histoire de l’art, est-on est passé d’une logique de la forme (ressemblance, illusion, perspective) à une logique du propos et de l’acte (performance, happening) ?

 

Françoise Armengaud, (« Manger des yeux », La Gourmandise. Délices d’un péché, Autrement, Série mutations/mangeurs, n°140, novembre 1993) s’intéresse à la nourriture en peinture et plus précisément au thème de « la nourriture alléchante » qui apparaît au 16ème siècle dans la peinture occidentale. Elle l’analyse comme le témoignage du fait que la peinture est un « art de la frustration ».

Entre fiction et réalité

Il paraît par ailleurs pertinent de se demander ce qui différencie la photographie d’un mets, d’une nature morte. La photographie culinaire est une composition de formes et de couleurs de nature comestible, ce qui l’éloigne de la nature morte peinte, c’est qu’elle est réellement destinée à être mangée. Le statut de l’image du plat reste à définir. En choisissant de fixer l’éphémère, la photographie manipule des problématiques auxquelles la nature morte est habituée. Mais, si le plat est une réalité comestible, son image fixée est une fiction, une création, l’illusion d’une durée impossible.

 

Léa Szkaradek

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