MOON n°2 / Goût et Odorat / Extra le Terrestre !

Odeurs d’enfance

Qui n’a pas, au fond de soi, une petite madeleine qui sommeille ...

Vus de La lune, on constate que les Terriens ont bien de la chance : ils habitent une planète  remplie de couleurs, d’odeurs et de saveurs. Pas étonnant que cela les bouscule, les trouble, les atteigne au plus profond ! Avec leur incroyable mémoire inconsciente du corps, ils enregistrent tout cela pêle mêle et à leur insu. Odeurs, goûts, sons, perçus dans la plus tendre enfance, restent parfois enfouis pendant des décennies, quitte à se réveiller, tout à coup, à l’occasion d’une promenade, d’une rencontre, avec la même intensité que s’ils avaient été captés la veille. Emotion du souvenir ….Présent et passé fusionnent en un moment unique et la réalité devient alors notre bien propre, unique et précieux, aussi intime qu’une caresse amoureuse….

Nous avons récolté les témoignages de quelques habitants de La Reunion, qui ont bien voulu nous confier leur petite madeleine personnelle….

Emmanuel, retraité de l’Education nationale, 62 ans :

«Je me souviens de l’odeur de ma maison d’enfance, au village. Ca sentait  la poussière, le rance et la lampe à pétrole !…Une odeur très particulière, que je n’ai retrouvée nulle part ailleurs ! »

 Yves, agent d’assurances, 45 ans :

« L’odeur de la terre mouillée, en Algérie, quand il vient de pleuvoir, c’est cela, pour moi, l’odeur d’enfance ! Mon père me disait toujours :  nous venons de la terre et nous y retournerons, c’est elle qui nous fait, c’est elle l’essentiel, la matière de notre vi ... Je n’ai pas oublié la leçon ! C’est une odeur qui me touche toujours autant ... »

 Anna, hôtesse d’accueil, 28 ans :

« Il y avait une odeur très particulière, dans la cave de la maison de mon grand-père , mélange d’humidité, de moisissure, de lessive. J’aime cette odeur et je pense à mon enfance, quand je la retrouve quelque part….»

Cannelle, lycéenne se souvient de l’odeur de lavande de ses vacances provençales et son amie Véronique, de celle des fraises du verger de sa grand-mère. Quant à Patrick, éducateur, qui est né à La Réunion, c’est, bien sûr, la bonne odeur du civet de sa grand-mère qui lui chatouille les narines, quand on lui parle d’enfance.

Odeurs des endroits familiers : la nature, la maison familiale, les plats mitonnés par des êtres chers, tel est le cadre émotionnel de l’enfance. Armelle, astrologue, est la seule à évoquer les odeurs du corps…

« Petite, quand je marchais dans les rues de la ville en m’accrochant au bras de ma mère, je sentais l’odeur de son corps : une odeur très particulière, que je n’oublierai jamais, mélange de parfum de prix, de sueur fraîche et de celle, un peu âcre, du manteau de skuns qu’elle portait tout le temps….»

Certains associent l’odeur à un choc émotionnel, une sensation d’ivresse : Nicolas, 70 ans, guitariste, raconte :

« Quand j’avais sept ou huit ans, j’allais avec les copains sur le pont dominant la voie ferrée. A l’époque, il y avait encore des locomotives à vapeur…Quand le train  fonçait vers nous, nous nous penchions pour recevoir la fumée en pleine figure . Le train passait dans un bruit de tonnerre et nous étions noyés dans un nuage épais, qui nous aveuglait et  une odeur piquante, âcre, qui nous soûlait…Quel plaisir ! »

Elisabeth, 30 ans, peintre, garde au fond d’elle-même l’odeur très particulière de la canne à sucre fraîchement coupée, cette odeur forte, lourde, des champs de canne de son enfance.

Carmen, danseuse, a retrouvé, dans la casbah marocaine ou sur les marchés de La Réunion, l’odeur d’épices de son enfance en Extrême Orient :

« C’est un mélange d’épices, de friture et de crasse, celui des rues populaires de Shang Haï, où les mendiants en haillons, couverts de mouches, voisinaient avec les marchands de soupe ou de beignets frits et les étals de curcuma ou de coriandre…En somme, c’est l’odeur de la vie d’un quartier ! »

Personne n’évoque le parfum de la rose ni celui de la crème au chocolat…Pas plus que celle du savon ni  de la barbe à papa. Ce ne sont pas les parfums réputés pour leur délicatesse ou leur gourmandise que nous faisons nôtres, mais des mélanges particuliers d’odeurs propres à un lieu, à un plat, à une personne en particulier.  En somme, nous ne retenons des odeurs que ce qui nous renvoie à un souvenir personnel.  Plus que le simple goût de la madeleine, c’est la plupart du temps, un mélange subtil de plusieurs odeurs mêlées qui nous touche…L’odeur particulière, semblable à nulle autre, de nos souvenirs d’enfance.

Diane Szkaradek