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MOON, le Guétali spatial, revue culturelle de la Réunion
27 octobre 2011

Moon n°3 / Le Tact / (sans) Art terrien

Tact et image

 

Comment montrer la caresse par l’image ? Pourquoi montrer la caresse par l’image ?

 

Réponses parmi d’autres possibles : la médiation de l’œil fait mieux que désigner, elle suggère le tactile, laissant place à l’imagination, au rêve. En entrant dans l’image, je touche par la pensée des formes et des couleurs dont j’invente à ma fantaisie la consistance. J’en parcours la peau,  je m’en approprie la chair,  plus librement que par l’expérience directe. C’est la voie royale du fantasme.

« La peau est ce qu’il y a de plus profond en nous »,  observe Paul Valéry. Il existe une peau, dans le tableau, pour peu que les corps représentés offrent un volume, une texture appelant le toucher. C’est l’école du Bauhaus qui, la première, a l’idée de développer cette éducation sensorielle par l’image. Le cubisme appelle le toucher, en mettant l’accent sur le volume, la profondeur de la matière. L’art moderne est tactile.

Le spectateur n’est plus à l’extérieur du tableau, il est appelé à se situer à l’intérieur : l’image doit être perçue en relief ; elle vaut par son volume et son épaisseur, attirant en son cœur l’exploration sensorielle d’une main hallucinée.

La contemplation esthétique devient alors purement intuitive, globale.

Dès l’Antiquité, le lien étroit et nécessaire entre l’œil et la main est mis en évidence. La peinture est figurative et doit représenter la nature au plus prés. Zeuxis, dit-on, était un artiste admiré, car il peignait des raisins si ressemblants que les oiseaux venaient les picorer… Il faut que la peinture donne à prendre, que le spectateur s’immerge dans l’espace pictural, devenu espace concret. Cette approche se retrouve à différentes époques : dans les nus de Rubens, du Titien, dont les Venus à la chair lumineuse et onctueuse sont appel à la caresse érotique ; dans les natures mortes de Chardin images de gibier à la chair encore frémissante ; dans les œuvres de Marcel Duchamp, où la matière est explicitement mise en œuvre. Par exemple, la « fresh window » (1920), représentant une fenêtre en aveugle, où des morceaux de cuir sont collés à la place du verre. Recommandations de l’auteur : « ces plaques doivent être cirées tous les matins comme une paire de chaussures, pour qu’elles reluisent ». Le plus explicite se trouve dans son œuvre « prière de toucher » (1947), où un sein en mousse est présenté sous verre , collé sur du carton. L’injonction, exactement opposée à ce que l’on voit d’habitude, se trouve au dos du tableau…

Le toucher complète donc l’œil, cette sensation trop rétrécie, trop rapide. Il comble ce manque en introduisant le réel, l’altérité des choses. Bertrand Vieillard, à propos de Chardin, nous parle du sens tactile comme introduction à la substance des êtres. Berenson pousse plus loin l’analyse, puisqu’il évoque une identification corporelle à l’oeuvre : les images éveillent des « impulsions musculaires, par leurs valeurs kinesthésiques. L’image, en pesant sur la chair, se répercute dans tout le corps « .On pense à Bacon et à ses représentations de chair sanguinolente, qui ont le pouvoir de nous renvoyer à l’intérieur de notre propre corps, à ses aspects les plus intimes. L’exposition de son œuvre, au centre Pompidou, provoqua de puissantes émotions : on a vu des visiteurs quitter les lieux au bord de la nausée . Le caissier lui-même ne se priva pas d’avouer les malaises physiques que déclenchait en lui le spectacle de ces tableaux violemment charnels….

En fin de compte, un peintre ne vaut qu’en éveillant chez le spectateur le désir du toucher et du mouvement. C’est bien ce que dira Dubuffet,  décrivant la matérialité de sa peinture : « là où la surface s’est plissée, (le spectateur) se contracte et se plisse ; si une cloque s’est formée, il se sent pousser la boursouflure au plus intime de son ventre ».

On ne peut mieux dire la relation fusionnelle entre la vision tactile et l’image sensorielle. D’où une définition possible du chef d’œuvre : celui qui provoque l’extase érotique, bien sûr… Chacun connaît ou découvrira le sien …

 

Diane Szkaradek

 

 

 

 

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