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MOON, le Guétali spatial, revue culturelle de la Réunion
27 octobre 2011

Moon n°3 / Le Tact / Zistwar

Jean de la Lune

Episode 3

 

Jean escalada la fenêtre donnant sur la terrasse, derrière sa maison, et dévala les escaliers menant à la plage. Les marches de pierre étaient dures et rugueuses, sous ses pieds nus. Il s’en moquait :  Il fallait fuir,  au plus vite.

 L’impossible s’était produit : ILS l’avaient retrouvé. En entendant la sonnerie du téléphone, tout à l’heure, il avait tout de suite identifié le code : deux coups, le silence, puis un coup. Comment avaient-ils réussi à obtenir son numéro ? Ce n’était pas le moment de se poser la question. Plus tard … Dans l’immédiat, il courait un grave danger. Il devait réussir à leur échapper, il y  allait de sa vie.

Il longea le quai, sauta sur le pont d’un bateau de plaisance amarré là et visiblement inoccupé, enjamba le bastingage et  se laissa tomber, plus bas, dans une barcasse de pêche en bois. Il saisit les rames et se dirigea vers le large. Dans un effort de tout le corps, il pliait le torse vers l’avant et ses mains serraient les manches de bois avec une telle force qu’il perçut douloureusement leurs aspérités. Une écharde s’enfonça dans son pouce gauche ; douleur aigüe, insistante. Il refusa de s’y attarder et se concentra sur l’horizon. L’océan, d’un noir d’encre, se perdait à l’infini, étal et désert. Le ciel encombré de nuages masquait la lune ; bientôt, il aurait gagné la haute mer et disparaitrait dans l’obscurité, devenant, très vite, invisible de la plage. En quelques heures, il pourrait accéder à l’île de la Fête, si le ciel était encore assez clair pour lui permettre de s’orienter avec les étoiles.

 Il pourrait alors s’enfoncer dans la jungle, retrouver Vilal, qui lui donnerait asile dans sa tribu. Le vieil homme lui devait bien cela : ne lui avait-il pas sauvé la vie, naguère ? Il pourrait ainsi attendre des jours meilleurs, sûr de n’être pas retrouvé par les Autres. Il aurait alors tout le temps de mettre sur pied un plan de bataille.

Jennifer l’avait-elle attendu ? Ils avaient rendez-vous et  devaient se retrouver chez lui, pour aller ensuite dîner au petit restaurant de poisson, sur le port, le seul à servir des oursins à cette époque de l’année. Il imagina la jeune femme en train de guetter son arrivée, assise sur les marches, devant l’entrée, comme elle en avait l’habitude. Combien de temps demeurerait-elle là, immobile, malgré le contact dur de la pierre sur sa chair si tendre, malgré l’engourdissement gagnant sournoisement ses orteils, puis ses chevilles et ses mollets ? Peut-être ne s’en irait-elle pas avant l’aube, déçue, blessée, peut-être, voire même inquiète … Il n’avait pas pu prendre le temps de la prévenir. Comment réagirait-elle ? Peut-être déciderait-elle de tirer un trait sur son existence, afin de ne pas souffrir ? A la pensée de ne plus revoir son sourire, de renoncer à ses caresses, au contact tiède et légèrement poivré de son corps contre le sien, il eut un serrement de cœur. Il lui fallait se l’avouer : il était en train de s’attacher à elle, lui, le froid, l’indifférent, toujours habile à diriger avec une femme le jeu de la séduction, sans jamais tomber dans le piège de l’émotion. C’est qu’elle avait quelque chose d’unique, de rare …

Jean laissait voguer ses pensées au rythme de ses bras, frappant l’eau régulièrement du revers des rames. La barque était petite, légère et filait rapidement vers le sud, laissant un sillage d’argent derrière elle. La tension, provoquée par le danger, était tombée et il s’envolait vers une rêverie floue, où surgissaient, pêle-mêle, des images du passé. Peu à peu, se reconstituaient des souvenirs, dans sa mémoire incertaine … Bien sûr -  il en avait pris conscience, peu à peu - il était différent : il possédait ce don exceptionnel, cette faculté de voir ce que personne d’autre ne pouvait même appréhender … Ce n’était pas forcément plus facile, en ce monde. Au contraire … Il pouvait inquiéter ; on se méfiait de lui …

Le bruit strident d’un moteur le fit sursauter. Le son de la sirène explosa dans ses oreilles.

-          Ohé du bateau ! Arrêtez-vous ! Police du port ! 

La vedette s’approchait en ronflant. Sur le pont, l’homme en survêtement faisait de grands gestes  des bras. Jean abandonna les rames.

-          La pêche est interdite la nuit, monsieur ! Veuillez nous donner votre matériel !

Jean fit un geste d’impuissance.

-          Je n’en ai pas ! Je ne suis pas pêcheur …

-          Vous voulez me faire croire que vous  êtes un touriste en balade, c’est ça ?

-          Je me rends à l’île de la Fête !...

-          Hors de question ! Vous ne tenez donc pas à la vie ? Vous n’avez donc pas consulté la météo ? La tempête sera là avant une heure ! Il est interdit de prendre la mer par ce temps !… Ne bougez pas, on va vous remorquer jusqu’au port !

Stupéfait, Jean laissait faire les hommes, qui amarraient sa barcasse à la vedette.

-         Faut pas plaisanter avec la mer, jeune homme ! Un peu plus et si on n’était pas là, vous auriez servi de souper aux requins !

Ils l’abandonnèrent, trempé, sur la plage. Ses vêtements lui collaient à la peau, formant une chape poisseuse et glacée contre ses épaules et ses jambes, le tétanisant tout entier. Il se sentait lourd, compact ; chaque pas était un effort.

Mais pas question de rentrer chez lui. Il était repéré. Il lui fallait trouver un endroit où dormir. Dans un hangar vétuste, il se fit un lit de fortune, derrière les filins, en entassant des sacs de jute. Malgré les tiges de fer s’enfonçant dans sa chair, malgré la toile rêche égratignant sa joue, épuisé, il sombra dans le sommeil  avant l’aube. 

Il fut réveillé par le toussotement régulier des moteurs : les pêcheurs partaient vers le large. La mer était plus calme, mais la pluie giclait sur les pavés du quai et le ciel lourd tombait bas, à l’horizon. Seuls, les vieux de la vieille, qui n’avaient que le poisson pour vivre, pouvaient s’aventurer au large. Impossible, pour lui, de renouveler l’expérience.

Il se mêla à la foule de marins, de dockers ou de touristes, qui commençait déjà à encombrer le port. Il ne pouvait pas rentrer chez lui : à coup sûr, on devait l’y attendre…Le seul endroit où il se sentirait en sécurité, c’était l’appartement de Jennifer. Et c’était elle, la seule personne en qui il pouvait avoir confiance. Certes,il n’aimait pas l’idée de la compromettre. Mais comment faire autrement ? 

Il s’enfonça dans la ville, empruntant de petites ruelles, traversant des terrains vagues, l’oreille tendue, toujours en alerte, sursautant au moindre passage de voiture ou de deux roues. En une demi-heure, il parvint enfin jusqu’au petit immeuble vétuste, aux murs ocres salis par le temps. Négligeant l’ascenseur, il grimpa quatre à quatre les escaliers, jusqu’au septième étage. Jennifer occupait l’appartement 31. La porte jaune était entr’ouverte. Jean frappa deux coups, sans succès. Il se glissa dans le corridor. Sur une tablette, le téléphone était décroché et la sonnerie « occupé » lui parut lancinante.

Il raccrocha l’appareil d’un geste sec et pénétra dans le living. Personne. Dans la chambre, le lit n’était pas défait. Un chat tricolore surgit de derrière la psyché et se frotta en ronronnant contre sa jambe .

-          Oui, Minet, bonjour ! Peux tu me dire où est ta maîtresse ?

 Il appela la jeune femme, sans succès. Rien n’avait, en apparence, était dérangé, dans la chambre à coucher. Dans la penderie, les vêtements étaient soigneusement rangés et une collection de produits de beauté de marque étaient alignés sur l’étagère de la coiffeuse. Sur la table de nuit, un livre avait été laissé ouvert. Mais un détail frappa Jean : le sac à main de Jennifer, un sac en cuir souple, de couleur bordeaux, était abandonné sur une chaise, près du secrétaire. En l’ouvrant, il constata qu’il contenait ses papiers d’identité, son portefeuille, sa carte bleue et ses clefs. Si elle avait quitté les lieux, ce ne pouvait être que de façon précipitée , urgente……A moins que…..Il s’approcha en frissonnant de la porte de la salle de bains….

 

à suivre …

 

Diane Szkaradek         

 

 

 

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