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MOON, le Guétali spatial, revue culturelle de la Réunion
11 janvier 2011

MOON n°1 / Le Regard

"Une sale histoire" ou le film impossible ...


Par Diane Szkaradek

On ne peut pas parler du regard sans évoquer "Une sale histoire", ce court métrage de Jean Eustache (1938-1981), le seul, à notre connaissance, à oser dénoncer aussi crûment la défaite de l'image devant la jouissance. Tourné en 1977, et régulièrement projeté dans les cinémathèques, ce film de cinquante minutes se présente sous la forme d'un documentaire : deux personnes, celui qui a vécu l'histoire, puis un comédien (Michael Lonsdale), témoignent devant un auditoire. Leurs mots viennent en lieu et place de l'image impossible à montrer ...

"Ce film est impossible à faire, dit Eustache. J'essaie de l'écrire et je ne le peux pas. Donc, je le raconte." 

Fidèle au cinéaste, nous nous garderons bien d'écrire quoi que ce soit à ce sujet, laissant la parole à Julie et Diane, deux amies plutôt philosophes, qui viennent de voir ce film ensemble et échangent leurs impressions..... Leur conversation a été captée par hasard par l'un de nos télescopes subjectifs, et nous vous en livrons ici la teneur en exclusivité !

 

Diane :

yle: normal;">- Te souviens-tu de ta première remarque, à la sortie du film ? Tu m'as dit "c'est un film pour les femmes..."

Julie :

- Mais non voyons, c'est toi qui m'as dit ça !

(elles se regardent, perplexes et éclatent de rire)

Diane :

- Si je comprends bien, on se renvoie la balle....

Julie :

- Comme dans le film ... Le récit  de Lonsdale renvoie à celui de Jean Noël Picq. Une même histoire racontée à la première personne par deux conteurs différents ...

- Qu'importe, en fait, qui la raconte, du moment qu'elle rebondit de l'un à l'autre....

- Ou de l'autre à l'un ... Une histoire d'écho ou de résonance ...

- Chacun peut s'approprier la "chose"...

- Si tant est qu'on puisse se l'approprier ... C'est même parce que personne ne peut se l'approprier que l'on ne peut qu'en parler ...

- Oui ... L'évoquer, s'en faire l'écho, la réfléchir ... sans jamais la montrer ...

(elles éclatent de rire)

Julie :

- Mais au fait, de quoi parlons-nous ?

- Hé hé, mais du vide, ma chère !

- Ce qui ne veut pas dire que nous parlons dans le vide ...

- Loin de là ... Le moins qu'on puisse dire, c'est que cela nous plaît, d'en parler ... Je dirais même plus : cela nous fait jubiler ...

- La jubilation ... C'est bien le thème de l' "affaire", son coeur même ...

- Allez, osons dire de quoi il est question ... Un homme raconte à un auditoire ami comment il est tombé dans l'addiction du voyeurisme.

- Dans un café qu'il fréquentait, les hommes descendent au sous-sol les uns aprés les autres, pour coller leur oeil à un trou, aménagé au bas de la porte des toilettes pour femmes. Poussé par la curiosité, notre conteur fait de même ...

- Et décrit ce qu'il voit : la diversité des sexes, la rupture totale entre la beauté de certaines femmes et la laideur de leur sexe ...

- Ou l'inverse !

- N'oublions pas le côté scatologique du spectacle, les femmes constipées ...

- Bon ... Passons !

- Mais non ! Je ne passe pas : souviens-toi de Freud et de ce qu'il écrit dans les "Trois essais sur la sexualité"  : "Dans le domaine de la sexualité, les choses les plus élevées et les plus basses sont partout liées les unes aux autres de la façon la plus intime". 

- Dieu merci, nous ne sommes pas tous scatophiles !

- Notre culture nous a appris à sublimer, tout simplement !

- Sublimation : "dérivation des pulsions vers des buts socialement valorisés."  C'est le petit Robert qui parle. Cela veut dire que nous sommes tous des pervers ...

- Eh oui ! Toi, la philosophe artiste, tu dois bien le savoir ...

- Je citerai  Pontorno : cet artiste connu pour la douceur de ses couleurs, l'élégance de ses formes, peignant des corps idéalisés, tenait minutieusement un journal où il consignait scrupuleusement ce qui entrait dans son corps par un orifice et en sortait par un autre !

- Sans parler de Michelet, l'historien célèbre, qui notait la fréquence des règles et la qualité des selles de sa madone adorée ...

- Bon, passons...Je préfère revenir sur le vide, le néant, dont nous parlions tout à l'heure ! On peut dire que l'oeil du voyeur utilise un trou (donc un vide) pour contempler un autre trou ... (le sexe féminin).

- Encore un doublon ! Ou un redoublement ! Pour voir la "chose" visée, il faut l'extraire de son "corps", l'isoler, grâce au contour du trou de serrure !

- Si ça n'est pas une instrumentalisation de la femme, cela ! Le corps est nié, le sexe réduit à son aspect le plus cru !

- Peut-être ... Cette histoire est misérable ... Mais elle nous trouble puisqu'on a envie d'en parler ...

- Oui, impossible de rester dans la situation du spectateur objectif ...

- En effet, nous sommes, sans l'avoir voulu, réduites, à notre tour, à l'état de voyeur ...

- Cela met mal à l'aise. On a honte ... Exactement comme le voyeur pris sur le fait ou la femme constipée qui, en quittant les toilettes, s'aperçoit qu'on l'a matée ...

- C'était intime, cela ne devait pas être vu ...

- L'intime, c'est le lieu des émotions érotiques. Dans ce cas-ci, on éprouve bien de la honte, mais aussi du plaisir ... Cela nous fait rire, n'est ce pas ?

- Je ne me lancerai pas dans des considérations sur la fonction de résistance du rire ... C'est assez clair !

- Cela dit, l'auditoire reste trés sérieux, dans le film, lorsqu'il n'est constitué que de femmes ...

- Oui, mais lorsqu'il y a des hommes présents, les femmes s'intéressent, questionnent, jubilent ...

- Je résume : ce sont les mots des hommes qui font jouir les femmes ...

- Alors que l'homme jouit de mater ... Ce qui ne se voit pas !

- Ou qui manque à sa place : le trou , l'éternel mystère du sexe féminin ...!

- En fait, pour l'homme, un trou, ça se traverse et ça se pénètre ... Là se trouve le plaisir !

- Pour la femme, un homme qui les fait jouir, c'est un homme qui les fait ouïr ! Souviens-toi, dans le film, elles sont toutes suspendues aux lèvres du conteur ...

- Elles jouissent de ce flux de mots, qu'il déverse dans le petit trou de leur oreille ...!

- En somme, Lacan n'a pas tort de dire qu'il n'existe pas de rapport sexuel !

- Vrai ! Ces deux sortes de jouissance n'ont aucun rapport l'une avec l'autre !

- Qui disait que les femmes, c'était comme les lapins, ça s'attrapait par les oreilles ?

- Cela me rappelle quelque chose ...! En tout cas, c'est un homme, qui a dit cela !

- A une femme, bien entendu ...

- Quelle sale histoire ...!

- Chut !!!!!

 

 

 


 


 

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